SURVOL DE L'HISTOIRE
DE L'ÉGLISE DU TABERNACLE
De la Mission Populaire au baptisme (1888-1890)
L’église dite ” du Tabernacle ” depuis 1921 est originellement issue de l’activité déployée par Ruben Saillens au sein de la Mission Populaire Evangélique créée en 1883 par la fusion de la mission fondée par Mac All en 1872 (la ” Mission aux Ouvriers de Paris “) et de celle fondée en 1878 par Saillens à Marseille. Persuadé que l’évangélisation des foules doit aboutir à l’Église locale, et que cet objectif n’est pas atteint pour une grande partie des convertis de la Mission, Saillens plaide pour la formation d’églises dénominationnelles liées à la Mission. Baptiste, il croit possible de « greffer sur la vieille et bien-aimée souche »des Églises baptistes, « le jeune et vigoureux rejeton de la Mission Mac All ». Il espère d’abord associer à la Mission l’église de la rue de Lille, où il assure l’intérim pastoral, mais les réticences d’une minorité font préférer la constitution d’une deuxième église baptiste, indépendante, à Paris. L’accord de fondation est signé le 9 juillet 1888 par Saillens, R.W. MacAll et A.J. Gordon, le président de l’American Baptist Missionary Union. Un local est trouvé 133 rue Saint-Denis en octobre. Et la ” greffe ” semble prendre: la jeune communauté connaît une croissance inédite de mémoire de baptiste français : les 12 membres du 16 décembre 1888 (date du premier culte, antérieur à l’inauguration, le 13 janvier 1889) en deviennent 50 fin 1889, 200 en 1891, 300 en 1893 !
D’une union éphémère… (1891-1893)
Cependant, l’ampleur de l’activité baptiste de Saillens (et… l’immersion baptismale de plusieurs agents Mac All) suscite des inquiétudes qui conduisent l’église à prendre en octobre 1890 son indépendance de la Mission. Elle peut désormais s’engager à 100% dans le camp baptiste. Quelques semaines suffisent aux deux pasteurs de Paris, Philémon Vincent (arrivé rue de Lille en septembre 1888) et Ruben Saillens, pour fonder en décembre 1890 l’Union missionnaire baptiste de Paris qui sera élargie en Union des Églises Evangéliques Baptistes de France en mars 1891. Vite formée, l’union présidée par François Vincent, dont Ruben Saillens est le secrétaire général, n’aura cependant qu’une faible longévité. En avril 1892, de retour du voyage aux Etats-Unis où il a participé à la collecte du fonds du centenaire de William Carey, Saillens doit affronter la revendication de son adjoint sur une partie de la communauté. Le différend trouve écho dans le comité de l’Union et se dégrade en accusations personnelles. L’Union baptiste est dissoute à l’été 1893.
… à une Association plus durable (1894-1920)
Désuni, le baptisme de langue française doit se réorganiser. Il le fait dès 1894 autour de deux pôles: un baptisme dit franco-belge, animé par Aimé Cadot tôt relayé par Philémon Vincent et en vis-à-vis un baptisme franco-suisse, composé de communautés plus récentes, dont l’église de la rue Saint-Denis constitue le centre. Les pasteurs des églises de province (Lyon, Saint-Etienne, Marseille, Montbéliard, Nice, Nîmes) ont ainsi été baptisés et initiés au ministère rue Saint-Denis. L’église s’affilie à l’Association des Églises baptistes de Paris et de l’Ouest, l’une des trois composantes du baptisme franco-suisse.
La communauté a déménagé au 61 rue Meslay lorsque le fondateur cède la charge pastorale à son gendre, Arthur Blocher, en 1905. S’il reste pasteur honoraire, Ruben Saillens réoriente son ministère dans une direction inter-ecclésiastique. Il se consacrera par priorité à la prédication du réveil à tous les milieux protestants et à l’animation de conventions chrétiennes en France et en Suisse.
« Un nom nouveau »
L’église – depuis 1910 au 48 rue de Lille – trouve après deux décennies son allure de croisière. L’effectif se stabilise entre 200 et 250 membres. La Grande Guerre, qui frappe brutalement les églises franco-belges, l’épargne relativement ; son pasteur est particulièrement chargé par Boston d’acheminer l’aide américaine vers le Nord dévasté. L’armistice conclu, les Américains sont désireux de promouvoir un nouvel élan baptiste: ils promettent un concours accru mais conditionnent celui-ci à l’union totale des deux Associations. C’est dans ce contexte que s’inscrit le congrès baptiste de juillet 1920 qu’Arthur Blocher a contribué à préparer du côté franco-suisse.
L’Union baptiste est effectivement votée par le congrès, mais la teneur des débats conduit Arthur Blocher, suivi par l’Église, à la démission. C’est le début d’une marche solitaire : l’Église choisit le nom de Tabernacle, et s’abstient de rejoindre l’Association re-formée en juillet 1921 par six Églises de l’ancien groupe franco-suisse.
Le « Tabernacle » se transplante dans le nord populaire de la capitale, à proximité de Montmartre, et devient le centre d’activités multiples entreprises « par la foi ». Le projet de construction lancé en 1921 aboutit au printemps 1928, la Mission Biblique en Côte d’Ivoire est lancée en 1927, une maison de retraite ouverte en 1928, la librairie des Bons Semeurs en 1930, la colonie du Nid Fleuri en 1933. ” Hors les murs“, l’œuvre bretonne de Trémel est à sa charge pendant quelques années (1920-1923); une demi-douzaine d’annexes sont animées en banlieue, et deux Églises affiliées en province (Saint-Brieuc, Strasbourg). Mais l’Église est frappée dans cette période par une épreuve incompréhensible: le décès subit d’Arthur Blocher fin novembre 1929. Son remplacement place l’Église dans le désarroi, à un moment où elle est coupée de sa dénomination.
Un féminisme “ de conquête”
A qui remettre la direction d’une œuvre devenue complexe? L’Église doit compter sur ses ressources propres. Mais ni Ruben Saillens, occupé par l’Institut Biblique, ni Jacques-A. Blocher, encore en formation, ni l’un des “ travailleurs ” de l’Église, sur lesquels reposent la marche de l’œuvre, ne sont candidats. Le choix se porte donc aussitôt sur la veuve du défunt, Madeleine Blocher(-Saillens), nommée directrice de l’œuvre. Pasteur de fait, elle en recevra formellement le titre en décembre 1930.
L’amplification de sa croissance (l’équipe comprend une quinzaine de ” travailleurs “) est interprétée comme la confirmation divine du choix de l’Église. L’obstacle principal surgit dans la seconde moitié des années 30, où la progression presque linéaire favorisée par une activité permanente est perturbée par l’apparition d’une concurrence pentecôtiste qui attire plusieurs familles.
L’œuvre s’adapte ensuite l’occupation. Si la Côte d’Ivoire (hors d’atteinte) et le Nid Fleuri (centre d’accueil) sont préservés, Béthanie est évacuée, la librairie maintenue tant bien que mal, les annexes fermées. Les auditoires diminuent par les restrictions des transports et la dispersion des membres. Les dommages ne sont cependant pas irrémédiables jusqu’au 26 août 1944, lendemain de la libération de Paris, jour où la dernière bombe allemande sur la capitale éclate devant le Tabernacle et le ravage à 85%.
Recentrage
La difficulté de relancer l’œuvre dont la reconstruction ne sera achevée que début 1950 diffère le retrait de Madeleine Blocher, qui souhaite transmettre une œuvre rétablie. Jacques-A. Blocher lui succède en 1952 alors qu’il a déjà inspiré une réorganisation de l’œuvre. La Mission en Côté d’Ivoire – la branche extérieure la plus prometteuse – est ouverte à d’autres milieux chrétiens. Béthanie est relancée en 1949 mais comme une œuvre distincte. Le Nid Fleuri, les Bons Semeurs, sont dotés de comités distincts du Conseil de l’Église.
Au plan baptiste, l’heure est à la pacification. La réconciliation est officiellement proclamée avec l’Association en 1947, et les relations ont été reprises avec la Fédération dès le lendemain de la guerre, où Henri Vincent invite dès 1945 J. Blocher à parler de son expérience de captivité à l’avenue du Maine. La collaboration avec la Fédération sera active sur le terrain (campagnes Billy Graham, dont la première venue est organisée par J. Blocher pour une trentaine de pasteur, en 1946) et dans plusieurs entreprises inter-évangéliques. Le Tabernacle vise désormais une vie d’Église locale, et l’appui qu’elle apporte à la formation de l’AEEI l’est dans un esprit d’assistance fraternelle. L’Église est ” recentrée ” lorsque la lignée familiale initiale cède la charge pastorale en 1960.
Une Église multiculturelle
L’Église poursuit dans les années 60 son approfondissement communautaire, mais le recrutement reste difficile. C’est sous le ministère de Marc Atger (1971-1980), prédicateur chaleureux et persuasif venu de Jeunesse Ardente, que l’Église connaît le regain longtemps attendu. On rouvre au public des galeries qui avaient depuis la guerre changé d’affectation !
C’est à cette période également que le Tabernacle accueille les précurseurs des frères et sœurs venus des Antilles, d’abord envoyés par le pasteur Edmond Itty de Fort-de-France. Le Tabernacle prend peu à peu un visage multicolore. Après une période de relations surtout libristes, la fraternisation baptiste s’exprime dans le ministère exercé au Tabernacle d’abord par Robert Somerville (1980-1986), puis par Maurice Jean-Charles. La reprise de la croissance de l’effectif et des auditoires intervenue depuis quelques années pose aujourd’hui la question de l’espace du Tabernacle, qu’il pourrait devenir nécessaire d’élargir…
L’Église du Tabernacle a été le 22 janvier 2000 l’un des membres fondateurs de la Société d’Histoire et de Documentation Baptistes de France. Elle a, dans la nuit du 4 août 2001, fait retour dans l’Association Baptiste (AEEBLF).
Jacques-Emile Blocher